vendredi 2 février 2018

Cette bien étrange solitude

Avez-vous déjà eu cette désagréable impression de ressentir des émotions qui, dès qu'elles essayent de passer la barrière des mots, disparaissent tout à coup ? J'ai bien du mal à croire, alors, que la pensée ne puisse exister qu'à travers le langage par lequel elle s'exprime. Je suis convaincue qu'il existe bel et bien des pensées, ou au moins des émotions, qui existent en dehors du langage. Cette partie non exprimable existe probablement à des degrés variables chez les autres. Je n'arrive pas vraiment à savoir à quel point ils l'expérimentent. Ces émotions, ou cette intuition, ne sont pas même exprimables à travers mon attitude et mon langage gestuel, que je maîtrise d'ailleurs plutôt très mal. Quand je suis au milieu d'une conversation où l'on commence à parler de nos émotions, ressentis et fonctionnements internes, j'en viens donc très vite à ces quelques paroles répétitives "je n'arrive pas à expliquer", "ce n'est pas ce que je voulais dire", "je ne sais pas, c'est intuitif", alors que je n'ai pas une "intuition" particulièrement développée au sens "deviner des choses". Je parle plutôt de fonctionnement intuitif, c'est-à-dire d'un mode de perception qui passe par des chemins non verbaux, non directement perceptibles par les 5 sens, qui n'existent que sous forme d'impressions. Cela ne veut en aucun cas dire que j'ai un sixième sens, mais je crois que c'est plus une façon d'être au monde. 

Les conversations de vive voix qui portent sur les émotions sont d'autant plus complexes pour moi que quand on en parle, je n'arrive pas à réfléchir en live, à analyser mes émotions pour mettre des mots et en parler. J'ai donc parfois cette impression que certaines personnes croient bien connaître mon intériorité, alors qu'elle ne s'exprime que partiellement. Pire, parfois, je ne sais tellement pas l'exprimer, quand les autres le font très bien, que j'ai l'impression de ne plus en avoir, ou que la chose qui ressort est le manque de confiance en moi et le malaise. Il arrive même que je me dise "il y a plus à exprimer", mais je ne sais plus sur quel sujet, où, quoi, comment, une impression diffuse que quelque chose ne s'exprime pas, mais sans que je n'arrive à mettre le doigt dessus, ni verbalement, ni intuitivement (comme c'est le cas là maintenant, tout de suite, où je tourne autour d'une idée, mais je ne sais pas vraiment laquelle).

C'est après un arrêt de ce blog pendant plusieurs mois que je me rends compte, vraiment, de ce qu'il m'a apporté. Je ne me suis jamais autant plaint de ma difficulté à exprimer mes ressentis et intuitions que cette année. 2017 a aussi coïncidé avec rencontres de personnes atypiques et qui sont à l'aise avec ce type de conversation, donc qui m'ont sans doute plus sortie de ma zone de confort. Mais je pense aussi qu'avoir arrêté ce blog a empêché mes émotions de s'exprimer à travers une forme, d'avoir une existence plus concrète, et de quitter le monde de l'indicible. Et c'est devenu assez difficile à vivre, de me retrouver seule avec des émotions que je n'arrive pas à communiquer, et dont je ne peux donc pas parler. De me rendre compte que certaines personnes peuvent mal me cerner (j'ai l'impression) en pensant avoir totalement compris ce que je suis. Et pourtant, si vous me demandiez "En quoi t'ont-ils mal cernée ?", je ne saurais absolument pas le formuler. C'est l'exemple parfait de l'impression vague et incommunicable. Ce ne sont pas forcément des émotions tristes que j'ai du mal à nommer, mais j'ai malgré tout un grand besoin de les exprimer, de les partager, d'échanger. C'est aussi la première année que je me plains autant d'être perdue dans ma tête, de ne pas réussir à structurer mes idées, d'avoir des pensées qui vont et viennent, que j'oublie, qui reviennent en coup de vent, sans que je ne les sente visuellement liées à quelque chose. Ca provoque chez moi ce que j'appelle une "panique cognitive", le mot panique étant sans doute un peu fort, mais c'est le concept qui m'est venu. Si j'essaie de poser ces pensées, il y en a dans tous les sens et ça ne m'aide pas forcément.

Alors je réessaie encore de revenir ici, pour donner de nouveau une forme à ce qui se passe "en interne". En espérant que ça m'aidera.

jeudi 29 juin 2017

Talent ou incapacité, l'invisible frontière (5/37)

J'ai eu cette réflexion alors que j'étais une énième fois en train de m'arracher les cheveux en pleine séance de travail de chant. J'ai lancé l'enregistrement sur ma tablette, j'ai enclenché l'instrumental et je me suis mise à chanter "se tu m'ami" puis "ah mio cor". J'étais contente de moi, j'avais l'impression d'avoir surmonté les blocages des jours précédents. Ca sort bien ça sort bien, super ! J'écoute l'enregistrement et tout à coup, toute mon âme se serre et se met à pleurer à l'écoute de cette voix insupportable pour mes oreilles. Oh tiens, ici cette note n'est pas trop moche, mais elle est vite chassée par la médiocrité de tout le reste. C'est ça, progresser ? Pourquoi j'ai l'impression que le son est bien soutenu alors que c'est désagréable à entendre ? Quel élément technique non maîtrisé provoque ce son ? De rage, je lance violemment un livre contre mon placard, je supprime l'enregistrement pour ne plus être tentée de le réécouter, et je descends manger. Mon visage sourit à mes amies mais toutes mes pensées broient du noir. Et mille questions s'enchaînent dans mon esprit : pourtant j'ai déjà chanté du lyrique à la famille qui était impressionnée, à une amie qui était impressionnée, à des amis de mes parents qui ont beaucoup aimé. On n'a pas les mêmes oreilles ? (Pourtant, je suis capable, quand c'est bien, de l'entendre aussi). Je n'ai pas chanté de la même façon ? Mes oreilles ont un problème ? Comment pourrai-je réussir à chanter devant plus de gens, ou des gens que je connais moins, si je n'entends rien de bien quand je me réécoute ? "Allez ose, c'est peut-être beau, puisque la dernière fois les réactions ont été positives". Comment savoir si je suis en train de chanter bien, quelle voix sortira... 

Pour la variété ou la pop, les choses sont encore plus complexes. Curieusement, le lyrique me paraît plus accessible. Très difficile au début, mais je peux voir la progression. Pour la variété, il m'est arrivé d'avoir de bonnes sensations, voix bien placée, joli timbre. Mais c'est si rare ! Et cette semaine, et la semaine dernière, et depuis plusieurs semaines, j'ai la sensation de ne plus savoir chanter en dehors des cours de chant. Et c'est le cas, je ne retrouve plus les sensations. Ca me fait ça tout le temps, ça vient ça va, mais ça met toujours plus de temps à revenir, et c'est tellement imprévisible qu'après 2 ans de cours de chant, je ne pourrais toujours pas chanter en public. 

Je réécoute mon dernier enregistrement fait chez mon prof de chant. Le rendu est, je trouve, vraiment bien. Ma voix m'est agréable, je ressens l'émotion que j'ai voulu transmettre, j'entends mon âme, et puis quelques larmes viennent. Oui mais ce n'est pas moi. Plus moi.
Mes amies me compliment sur ma voix. Bien sûr, elles ont entendu cet enregistrement, et maintenant elles sont convaincues que je suis bien plus douée que ce que je ne suis réellement, et aucune ne me croit quand je fais part de mes difficultés incompréhensibles. 

Comment peut-on à la fois être talentueux (de très bons retours sur mon enregistrement, y compris le mien qui est celui qui me tient le plus à cœur finalement) et complètement nul à la fois ? Puisque cette voix existe en moi, elle doit bien pouvoir revenir. J'essaie de me rassurer en me disant ça. Mais ça rend fou. Où est-elle ? Suis-je trop incompétente pour exploiter le potentiel de ma voix ? Suis-je trop sensible à l'environnement pour en faire quoique ce soit ? Aurai-je le niveau technique suffisant pour avoir une voix qui me plaît et qui reste ? Ai-je trop de blocages psychologiques ? Quand je suis chez mes parents, que je chante avec mon micro et ma petite enceinte, les sensations reviennent plus facilement. A Paris, pour la variété / pop, je me sens bien plus incapable. Et ce n'est même pas forcément de l'inhibition liée à la peur d'être entendue, parce que parfois je chante dans ma chambre et que mes voisines ne sont pas là.

Et je suis lassée de devoir m'enregistrer pour savoir comment je chante, mais je suis obligée, sinon c'est impossible de connaître mon son et de l'ajuster. 

Le titre de mon article s'explique alors très bien, ce sentiment d'avoir cette voix en moi qui ne revient pas. J'ai pleuré l'autre jour, comme je le fais parfois quand je chante très mal et que j'ai l'impression que le sens de ma vie s'effondre, et que je suis bonne à rien et pas capable de progresser dans ma seule et unique grande passion. Parfois même, je ne chante plus pendant une ou deux semaines parce que mes difficultés m'ont retiré l'envie de chanter (heureusement, elle est de nouveau là et forte quand je reviens à Lyon et que je retrouve mon environnement familier et mon micro).

J'ai psychoté pendant des mois en cherchant le problème. "C'est sûr c'est le ventre !", "C'est sûr c'est la langue, ça y est le problème est réglé !". Non, non, non toujours pas. Je ne sais pas, je ne sais plus. Evidemment mes profs me corrigent, mais pendant le cours. Incapable de faire un travail aussi bien par moi-même. Où est le problème bon sang ? 

Et tout à coup, cette simple pensée m'est venue : et si ton problème, Esmeralda, était de trop te demander où était le problème ? 
Je sais que j'ai un problème avec l'inconscient au sens : on travaille ça ou ça, ça change pas grand chose sur le moment, et un beau jour on se réveille et la voix est plus jolie. On ne sait pas trop pourquoi, mais tout ça a fait progresser. Alors que j'essaie toujours de tout comprendre, j'ai du mal à déléguer mes progrès au travail inconscient. Je me suis torturée pour essayer de trouver LE problème, ou les éléments à travailler pour mon problème spécifique, et ça a peut-être été contre-productif.

Alors j'ai décidé d'adopter une autre approche du chant, en espérant que ça m'aide. Je vais travailler tous les aspects techniques, sans me dire "non ça on verra plus tard, ça te servira pas pour ton problème". On oublie le problème et on s'amuse aux vocalises (oui parce qu'aux vocalises je progresse par contre, quelle ironie). Avant-hier j'ai donc travaillé la voix de poitrine et surtout la voix de tête que j'ai du mal à faire entendre vraiment. C'était un travail plutôt amusant et qui m'a donné un peu plus de voix ensuite. 

Comme je serais heureuse si j'arrivais, d'une, à garder toujours la voix de mon enregistrement, de deux, à progresser encore. J'espère que cette troisième année de chant va débloquer des choses.

To be continued...

lundi 12 juin 2017

Flux de pensées intérieur (4/37)

Je ne sais pas sur quel thème écrire cet article, alors que les idées me viennent souvent au fil de la journée. Malheureusement, elles s'envolent aussitôt, et je n'ai pas la patience de les noter à chaque fois qu'elles se présentent. Je commence donc à écrire quelques lignes, et l'inspiration viendra probablement au fur et à mesure. Déjà les idées commencent à se former. J'étais partie pour écrire "je suis actuellement en train d'écouter Aymeric Caron", avant de me faire deux remarques en même temps, l'une pour souligner le fait que j'aimerais tellement me motiver à acquérir plus de culture pour vraiment comprendre la société et avoir de quoi réfléchir sans me sentir dépassée, l'autre pour me dire que je remarque bien chez moi ce qu'on appelle la pensée en arborescence, très pratique pour blablater quand on a rien de particulier à dire parce que de nombreux fils se dérouleront malgré tout sitôt la ou les quelques premières phrases écrites. Les fils se déroulent, je panique un peu au milieu de ces idées, oups, lequel choisir ? Et tout à coup, pouf, je m'arrête, j'adopte soudain un rapport extérieur à ce que j'ai écrit, les fils s'interrompent, je me retrouve propulsée hors de mon flux de pensées intérieur. A ce moment là, chaque nouvelle phrase m'interroge : que vais-je écrire, maintenant que la barrière s'est remise en place, que le système (le paragraphe) s'est construit ? Chacune serait ajoutée bien artificiellement, bien maladroitement à cette construction. Si les idées ne sortent pas de ce flux de façon automatique et rapide, alors elles seront mauvaises et extirpées avec difficulté. C'est pour cela qu'il est plus prudent de toutes les sortir d'un coup, car quand je reviens à mon édifice, et que je dois repartir d'une base déjà construite, il m'est plus difficile de m'y remettre. En dissertation, c'est la première phase de mon travail, celle qui me demande le plus de concentration : lancer toutes les idées tant qu'elles viennent, aussi longtemps qu'il le faudra, jusqu'à ce que tout à coup, je pose le stylo : ça y est, je n'ai plus rien à dire. Mais ce fonctionnement s'accommode mal de ma nature de paresseuse. Lors de l'élaboration de mon mémoire, j'aurai bien du mal à m'y pencher d'un coup, pendant plusieurs heures, pour établir la structure en une fois. Mais quand j'y reviendrai, il y aura déjà quelque chose, et si j'essaie de déclencher de nouveau un flux de pensées intérieur, il aura plus de difficulté à sortir, car devant intégrer des éléments extérieurs, quand d'habitude, il ne sort que de ma tête, sans données autres à prendre en compte. 

Voilà, je viens d'essayer de sortir de ma tête quelques mots pour expliquer comment sortent mes idées, mais je me demande s'ils vont faire sens pour quelqu'un d'autre que moi.

Camus (3/37)

Être différent n'est ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même.

jeudi 8 juin 2017

Nourriture : culpabilité et pardon (2/37)

Bon eh bien la paresse aura été de courte durée : j'ai de nouveau un travail à faire là où je fais mon stage, et qui va beaucoup m'occuper. J'essaierai d'écrire quelques articles malgré tout, mais ils seront plus courts que ce que j'avais prévu au départ. Aujourd'hui, j'ai manqué de temps pour écrire, alors je vous copie un texte que j'ai écrit il y a quelques semaines, lors d'une de mes journées de craquage alimentaires.

Je prends aujourd’hui la plume pour raconter mon histoire. L’histoire d’une fille comme les autres qui pourtant, en silence, lutte contre ses démons. J’espère un jour pouvoir écrire « qui a lutté, pendant longtemps, contre ses démons ». Ce serait une belle victoire, de transformer le présent en un passé lointain, presque archaïque. Je voudrais pouvoir en être au stade où je proclame fièrement la guérison de mon esprit. Et c’est volontairement que je n’écris pas « ma guérison ». Je ne me considère pas comme malade. Je suis juste moi, Esmeralda, 21 ans, avec ma personnalité et toutes les difficultés que cela peut engendrer d’être simplement moi. J’entends souvent que les troubles alimentaires sont la conséquence d’un trouble profond, d’un manque, d’une souffrance psychologique très éloignée de ce problème qu’on pourrait croire physique. Mais le temps m’a montré que c’est un problème qui s’est progressivement automatisé et détaché de la cause première à laquelle il était rattaché. Je dévore ma colère, j’avale ma tristesse, je savoure ma joie, j’engloutis mon ennui, je mâche mon angoisse, je… je mange, tout simplement. A-t-on vraiment besoin de ressentir une émotion quelconque pour avoir envie de se faire plaisir ? Ces émotions qui se succèdent les unes après les autres, que l’on pourrait vainement tenter d’identifier pour analyser leur rôle dans les manifestations de mon trouble, ne sont-elles pas le reflet de cette émotion étrange et impalpable qu’est la vie ? L’envie de manger est constante, omniprésente, elle a envahi chacune de mes pensées. Lorsque la nourriture cesse, à la fin d’un repas bien trop riche, de réveiller mon irrésistible attirance pour elle, elle se transforme alors en culpabilité et en anticipation. La culpabilité d’avoir craqué, encore, et d’avoir justifié mes dégustations compulsives, comme chaque jour, par un argument rationnel capable de transformer ce qui passe pour une habitude en une simple exception. « Oui mais aujourd’hui, c’est parce que… mais demain, je me reprends en main pour de vrai ». L’anticipation des prochaines crises, ou des prochaines souffrances induites par mes tentatives désespérées mises en œuvre pour résister à ces terribles pulsions. 

La culpabilité cohabite avec la tristesse, la colère, l’impuissance, mais aussi, et heureusement, avec le pardon. Il se fait discret, le pardon, mais il a tracé son chemin et s’est installé dans mon cœur. Je l’y garde précieusement, et je lui rends visite lorsque je parviens à le retrouver. Le pardon me rappelle que je n’ai pas moi-même créé ce trouble consciemment, par une succession de mauvaises décisions. Que je ne suis pas le bourreau, que je subis moi-même ces fortes envies. Que quoiqu’en dise ma culpabilité, quoiqu’en dise le reflet effrayé, abattu et implorant que je croise dans le miroir, je ne suis pas responsable de l’arrivée de cette force qui me dépasse. Je veux croire qu’il y a une solution, je dois continuer à déployer des immenses efforts pour la combattre, mais sa puissance n’est pas de mon fait. Je dois m’en rappeler pour ne pas me laisser ronger par une culpabilité maladive. Même si c’est difficile. Il me reste donc comme solution la plume, quelques mots tracés pour tenter une nouvelle lutte, ou, au moins, transformer l’obsession et la douleur qu’elle entraîne en quelque chose de beau.