vendredi 17 avril 2015

Dans la série des événements improbables...

En septembre, on a commencé à nous demander quels concours on voulait passer. J'ai assez rapidement pensé au CELSA, c'était en fait l'unique école qui m'intéressait. Mais mes profs nous obligent à passer plusieurs concours, alors j'ai fait plouf plouf et hop je me suis inscrite aux IEP... D'accord, ça ne s'est pas passé exactement comme ça. Normalement, on doit tenter deux concours, dont au moins un "type A", c'est-à-dire l'ENS, ou le top 6 des écoles de commerce... Les écoles les plus difficiles. Mais le commerce ne m'intéresse pas et je n'avais pas la motivation de passer l'ENS, grande paresseuse que je suis. J'ai donc refusé de passer un concours type A, ce qui n'a pas trop plu à certains de mes profs : cette décision continue de me mettre dans de beaux draps aujourd'hui (c'est pas grave, on s'habitue petit à petit à l'idée d'avoir "créé un précédent", dixit mon prof principal). Mais je me suis dit que quand même, il valait mieux ne pas pousser trop loin cette petite rébellion, et qu'il fallait tenter un deuxième concours. J'ai donc décidé de passer les IEP, puisque mon lycée propose un module de préparation et que plusieurs personnes dans ma classe, une dizaine, les tentaient. Attention, je n'avais aucune intention de les avoir et de vraiment les préparer, je voulais même rembourser à mes parents le prix du concours (via une diminution de l'argent qu'ils me donnent chaque mois) parce que ça me faisait culpabiliser de les faire payer pour rien.

En fait, il serait plus exact de dire "j'ai donc décidé de faire semblant de passer les IEP". Parce que je me suis vite rendue compte que je regrettais de m'être inscrite à ces concours, que ça me gonflait profondément de les préparer, de bosser des trucs en plus du programme de la B/L (que je ne bossais déjà pas bien), et que j'allais être obligée de réviser un peu si je ne voulais pas annoncer des notes trop basses à mes profs le jour des résultats...

... Mais je n'ai pas eu le courage de les travailler vraiment. Les trois matières que je devais bosser sont l'espagnol, la science politique, la culture générale (avec comme thèmes au programme la santé et / ou les inégalités). L'espagnol, c'est ma LV1, donc ça allait à peu près. La science politique, j'avais tellement pas le courage de la bosser que j'avais à peine regardé les thèmes et auteurs au programme. J'avais bossé un peu quelques chapitres pour les DS de sciences sociales dans l'année, où je choisissais toujours le sujet de science politique. J'avais donc bossé sur l'action collective ; le rôle des partis politiques dans la démocratie représentative ; la fin du politique. Pour la culture générale, j'ai assisté (presque) chaque semaine aux cours, je prenais quelques notes, que je rangeais, que je n'ai plus jamais ressorties. A la place j'ai bossé dans un petit livre sur le thème de la santé (oui parce que, impasse sur les inégalités). J'ai dû travailler 5-6 pages et appris trois citations que je me suis arrangée pour recaser. Je n'ai jamais rendu la dissertation qu'on devait faire sur les inégalités (il fallait lire un livre entier, alors pour un concours que je ne voulais pas, ce n'était pas rentable...).

Voilà à peu près où j'en étais quand le concours est arrivé : je n'avais pas suffisamment bossé (c'est le moins qu'on puisse dire), je n'avais pas prévu de les avoir ces IEP, j'allais clairement au concours pour le louper. La veille du concours, d'ailleurs, c'est le CELSA que je révisais, je lisais un livre d'Ignacio Ramonet. 

***

Pendant la nuit qui précédait le concours, je n'étais donc pas stressée même si j'avais peur de me planter et ensuite de me faire engueuler par les profs parce que je m'étais bien moquée d'eux (je ne voulais pas donner cette impression-là). Mais je pensais au concours, en essayant de me dire "bon, j'écris quoi si jamais je ne sais rien sur le sujet ?". Une petite idée m'est venue et m'a beaucoup fait rire (au milieu de la nuit, oui, parfaitement) : "Ma petite Esmeralda, en principe, ton esprit d'analyse fonctionne à peu près quand tu as 0 connaissance. Donc, si tu ne sais pas quoi dire, tu inventes une référence, tu trouves une bonne idée et tu fais croire que c'est un charmant écrivain d'un pays lointain qui l'a inventée, de toute façon ils n'iront pas vérifier, et puis même s'ils vérifient, ils ne pourront pas prouver qu'un truc n'existe pas". Et puis j'ai tellement réfléchi à cette idée que je l'ai transformée en challenge. Je repensais à ces quelques mots de ma prof de littérature "Et puis au pire, les mises en scène, vous les inventez ! Moi j'inventais des fouilles dans mes dissertations et les profs adoraient". Puisque de toute évidence je n'allais pas réussir le concours, je voulais en profiter pour m'amuser un peu. Je suis partie le matin d'excellente humeur, en riant presque à l'idée d'inventer des références. 

Le matin, 3h de science politique. Sujet : "Les paradoxes de la représentation politique". Plutôt cool, je vais pouvoir ressortir les 2-3 trucs que je sais, mais je ne sais pas si je vais pouvoir raconter beaucoup de choses... Mais bon, pas besoin d'inventer de références. J'ai pensé à ce que j'avais bossé pour le CELSA, et là, je me suis fait plaisir en faisant une troisième partie spéciale CELSA, j'ai parlé des médias, je n'avais pas d'auteurs et je crois que je n'ai même pas eu le temps de faire plusieurs sous-parties, mais j'étais contente que mes révisions du CELSA puissent me servir. Bon, ouf, c'était pas brillant du tout, mais c'était pas assez raté pour me faire complètement engueuler par les profs. 

L'après-midi, 5h30, espagnol et culture générale, on gère le temps comme on veut (c'est prévu pour que ce soit 1h30 pour les langues, 3h pour la culture générale). Bon, le sujet de culture générale me gonfle déjà, je commence donc par l'espagnol, c'est plus drôle. Sujet plutôt sympathique. Pour l'expression écrite, c'est reparti : je fais mon petit paragraphe CELSA-médias. Je mets 2h pour faire cette épreuve, puis je me dis "oups, j'ai intérêt à me dépêcher pour la culture générale". Je prends le sujet "La santé est-elle globale ?", je ne sais absolument rien sur le sujet bouh, et j'ai même pas le temps d'écrire plus de quelques mots au brouillon. Je regarde souvent l'heure, au bout d'un moment il se passe un truc assez incroyable, je me dis "olalala plus qu'une demie-heure" et en fait non il restait 1h, j'avais oublié l'heure à laquelle on finissait. Je n'ai pas grand-chose à dire, et comme à chaque fois dans ces conditions, je fais un gros blablabla. Heureusement, je pense à tonton Freud en deuxième partie, et je suis joie, j'ai quelque chose à dire youhouhou, j'avais bossé une de ses leçons au début de l'HK et heureusement je m'en rappelle encore. Je pars sur le physique et le psychisme, s'il faut les traiter séparément, ou si le psycho-somatisme montre que c'est global blablabla. Tonton Freud, toujours là pour faire l'objet d'une partie entière quand on a besoin de lui.

Et je délire un peu pour mon introduction de culture générale. Je n'avais pas oublié mon challenge du matin, je me suis donc dit "soyons fous", et hop, je pars sur une pièce de théâtre qui aurait été écrite par un certain Antoine Marquier pour le festival d'Avignon en 2011, La solitude du corps, huit clos qui n'est pas sans rappeler l'ambiance de la pièce de Sartre, une discussion entre vieux atteint d'une maladie incurable (mais on ignore laquelle), et son neveu... Cette pièce n'existe pas, et j'ai tellement mis du temps à essayer de trouver un truc à inventer qu'au final mon accroche n'avait aucun rapport avec ce que je disais après et avec le sujet. Mais je me suis beaucoup amusée. 

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En sortant du concours, c'était assez clair pour moi : j'étais venue pour le rater, je l'avais peu bossé, je venais de le rater, heureusement avec moins de dégâts que ce que je pensais au début (donc pas de méga engueulade de profs),  J'ai répondu au mail de mon prof de sciences sociales, qui nous a demandé comment ça s'était passé (mon dieu que j'avais honte d'avoir fait semblant de vouloir les IEP et de les louper comme ça), que je n'étais pas satisfaite de ce que j'avais fait et que, comme j'avais du retard dans mes révisions, j'avais de toute façon préféré mettre l'accent sur le CELSA. 

Une semaine plus tard, le 28 mars, je passe le CELSA, que je foire aussi (décidément...). Je me dis donc qu'il est temps de réfléchir à mon orientation et que j'irai étudier à la fac. Ca ne me dérange pas, au fond, mais je suis triste que le lycée ait "misé" sur moi, m'ait acceptée, et qu'ensuite moi je n'obtienne aucun concours... Je culpabilise. Mais bon. J'envisage alors, même si ma moyenne a bien chuté au deuxième semestre, d'étudier la philosophie. Je demande à mon prof de philo, que j'adore aussi, si l'on peut en discuter. Je l'ai donc vu vendredi dernier, on a parlé pendant 35 minutes je crois (il est trop gentil en plus). Il me demande, au début "est-ce que je dois comprendre que vous vous inquiétez de ne pas avoir de concours ?". Oups. Je lui réponds que je ne passe que les IEP et le CELSA, que je ne pense avoir réussi aucun des deux, que de toute façon les IEP je les avais peu bossés parce que je travaillais le CELSA à la place... Lui, au cours de la conversation, me conseille, si j'ai un IEP, d'y aller, quelque soit l'IEP en question. Moi à lui : d'accord je vais y réfléchir. Moi dans ma tête : non mais ne vous inquiétez pas, il y a aucune chance que je les aie, ces IEP, et c'est tant mieux tsssss. 

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Mardi 14 avril. Les résultats sont demain, il n'y aura pas de surprise côté admission, mais je suis quand même curieuse, j'ai hâte de voir mes notes, j'étais plutôt contente de l'espagnol. Mes parents me taquinent "si ça se trouve, tu vas te retrouver à Toulouse !" (mon dernier choix). Je ris, je leur dis d'arrêter de rêver, que je ne suis pas magicienne et qu'on ne réussit pas un concours comme ça. Je me prépare pour mon cours de violoncelle. Je suis dans la salle de bain, je me coiffe un peu, j'allume mon portable, je reçois un sms improbable d'une amie qui me dit, en gros "ESMERALDA TU ES PRISE A SCIENCE PO LYON !!!!". J'ouvre de grands yeux, je ne comprends pas trop le délire, je me dis "mais what ? Je pensais que les résultats étaient demain, et privés. Et puis moi à science po Lyon, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?". Après je me souviens avoir lu sur internet, dans l'après-midi, qu'une liste des admis avait été affichée par erreur dans l'un des IEP, donc peut-être que la liste avait été mise sur internet. Et puis, elle ne m'aurait dit ça que si elle avait été sûre. Je relis le message, je prends le temps de réaliser, je passe sur internet, je vois bel et bien mon nom, puis j'éclate de rire et je vais voir mon père puis ma mère pour leur annoncer qu'il paraît que je suis prise à sience po Lyon, ils n'en reviennent pas, je les laisse avec cette nouvelle et j'éclate encore de rire tant la situation est ironique : je n'avais jamais eu l'intention de réussir ce concours. C'était vraiment trop improbable, je me retrouve avec mon premier choix alors qu'à la base je faisais plus ou moins semblant de passer les IEP, je voulais juste limiter la casse. 

Le soir, en en reparlant à mon père, il me dit "Tu te rends compte, dans quelques années tu te diras que tu en es là à cause d'une blague qui a mal tourné, parce que tu avais peur de te faire engueuler". C'est vrai et la situation est quand même vraiment amusante pour le coup. Je ne m'étais même pas renseignée, j'avais classé mes vœux un peu au hasard, en me disant "autant rester à Lyon si je peux, partir pour les IEP non merci". 

Bon, l'euphorie passe un peu quand je me rends compte qu'une amie qui les voulait vraiment vraiment vraiment, ces IEP, depuis deux ans, n'est ni sur la liste principale ni sur la liste complémentaire. Je suis vraiment triste pour elle. Je vois trois personnes de ma classe sur la liste des admis et deux sur liste d'attente, les autres (on devait être 10 ou 12 à les passer au total) n'ont rien eu, ça calme un peu ma joie et je me mets à culpabiliser : à chaque fois qu'on me disait bonne chance pour un truc en rapport avec les IEP, je répondais "non mais je les veux pas moi de toute façon les IEP hein, je bosse le CELSA c'est tout". Et voilà que je me retrouve, un peu par hasard, acceptée à science po Lyon. C'est fou ! 

Bon, j'ai arrêté de culpabiliser, je suis finalement contente d'être admise dans le sens où ce sera plus sûr, côté emploi, que la fac de philo. Mais j'aurais dû me taire et ne pas répéter que je m'en fichais. 

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Maintenant, j'ai hâte d'avoir mes notes. 
15 avril : je me réveille tôt, une amie me dit que l'année précédente les résultats avaient été mis en ligne vers 8h. A 9h je regarde, rien. S'ensuit une longue matinée de connexions et de déconnexions, de "JE VEUX MES NOTES JE VEUX MES NOTES !" parce que je voulais avoir la certitude qu'il n'y avait pas eu un problème avec la liste de la veille et que, puisque j'étais admise, j'allais forcément avoir des bonnes surprises en voyant mes notes.

En début d'après-midi, finalement, les notes sont accessibles.

Questions contemporaines : 10,47
Langues (espagnol pour moi) : 13,99
Epreuve de spécialité (science politique pour moi) : 16

L'espagnol, je ne suis pas surprise d'avoir une bonne note, j'étais plutôt satisfaite et quand j'ai su que j'avais mon premier choix, je me suis dit "ça doit être grâce à l'espagnol". La culture générale, j'ai limité la casse, et ma petite référence inventée semble être passée ! Mais alors la science politique, j'ai de nouveau ouvert de grands yeux... 16 ??? Je ne me souvenais pas avoir utilisé beaucoup de références, en tout cas rien de bien approfondi. Peut-être que le correcteur a aimé ma partie CELSA !

***

Je vais m'arrêter là, j'ai déjà écrit un roman. Je suis contente de ce résultat complètement inattendu, c'est assez fou, c'est la dernière chose à laquelle je m'attendais, être prise aux IEP. Cours de droit, d'histoire, d'éco, de sciences po... A vrai dire ça ne m'intéresse pas plus que ça, mais les opportunités d'emplois à la fin sont sans doute plus nombreuses qu'après une licence de philo. Donc, sauf si j'ai le CELSA, je serai à science po Lyon l'année prochaine. 


Contre toute attente.