dimanche 22 mai 2016

Mon trouble alimentaire

"Waaaw mais tu prends énormément de pain c'est fou !"
"Dès qu'il y a quelque chose de comestible, tu le prends"
"Tu as encore faim ? Mais tu as assez mangé !" 

Ces commentaires, je les entends souvent. Au début, je n'y faisais pas trop attention. Je me contentais d'esquisser un petit sourire, de faire remarquer avec amusement à quel point j'étais gourmande, et de passer à autre chose. Presque tous les jours, au foyer, j'ai le droit à ces commentaires surpris sur la quantité de pain que j'engloutis. Les gens ne semblent pas se lasser de le constater. Mais aucun ne sait ce qu'il y a plus loin, aucun n'arrive à voir au-delà de cette quantité de pain qui se trouve sur mon plateau. Ce pain, il reflète tout le combat intérieur que je mène depuis quelques mois, sans succès, contre cette envie de manger excessive et dévorante, et quasiment constante. 

L'autre jour, une amie m'a dit que j'avais grossi des fesses mais que c'était "joli" (la blague). Sa mère m'a dit que j'avais pris des joues mais que c'est bien parce que j'étais "maigre" avant (ce qui n'est pas le cas, j'étais juste mince). Une autre amie, quand je lui dis que je mange trop, me dit "mais non tu es très bien comme ça, ça ne se voit pas que tu as grossi !" (bon en vrai ça se voit mais elle est trop gentille). Je crois qu'aucune de ces personnes ne peut comprendre la situation intérieure dans laquelle je suis. Grossi, pas grossi, mieux ou moins bien physiquement, peu importe, c'est presque une autre question. J'apprécie moins ma silhouette plus ronde aujourd'hui, mais même si j'étais mince, le problème n'en reste pas moins réel. On peut être mince et souffrir d'une situation d'envie de manger excessive.

J'ai longtemps culpabilisé. Je me suis reproché mon absence totale de volonté. Et puis finalement, j'ai décidé de lire des choses sur les troubles alimentaires, sur l'hyperphagie (qui pourrait correspondre à la pathologie qui est en train de naître chez moi). Ca m'a aidé à comprendre un peu. J'ai ensuite beaucoup réfléchi. J'en suis arrivé à la conclusion que j'ai une dépendance émotionnelle à la nourriture. Si je suis nerveuse, par exemple, la nourriture est le seul moyen de me calmer et de m'apaiser. Bon esprit réclame de la nourriture, il me hurle son envie de me voir le rassasier avec du sucre ou du gras. Il demande à être soulagé par un aliment qui me fera vraiment plaisir. Et même quand je suis joyeuse, le problème persiste. Je vis constamment avec l'envie de manger, et à force d'avoir conscience de ce problème, j'y pense encore plus. Cercle vicieux. C'est une angoisse quotidienne. Et à cela s'ajoute la culpabilité de manger trop et de m'éloigner du corps que je voudrais.

Un jour, j'aimerais hurler contre ces gens qui font des commentaires, sans rien savoir, sur la quantité de nourriture que je mange. Il n'y a aucune méchanceté dans leurs paroles bien sûr, mais leurs remarques deviennent usantes. J'aimerais crier un bon coup "Oui je mange beaucoup merde, j'ai envie de manger tout le temps, ça me bouffe, laissez-moi mener ce combat intérieur en paix, je ne vous demande pas de m'aider, mais juste de la fermer" (assorti d'un petit "connard" juste pour la forme)(bon en vrai je ne suis pas trop vulgaire mais parfois, ici, ça fait du bien de se lâcher un peu).

Je crois qu'il est tant de le reconnaître haut et fort, oui, j'ai un trouble du comportement alimentaire probablement lié aux émotions que je ne sais gérer que par la nourriture. Ce n'est ni de l'anorexie, ni de la boulimie vomitive. Mais oui, il y a un problème. C'est bien de le reconnaître. Ca aide à chercher plus sereinement une solution. On m'a dit une fois "il faut avoir plus de volonté et tu pourras arriver à ne plus manger excessivement, même si c'est difficile". Les gens qui disent ça ne sont clairement pas dans ma tête.

Je pourrais faire un long article sur toutes les pensées qui me traversent par rapport à ce problème. Tous les mécanismes, parfois illogiques, qui sont en oeuvre au quotidien. Si j'ai le courage, je le ferai.

Finalement, j'ai fini par oublier ce que c'était de ne pas avoir constamment envie de manger, ou d'être rassasiée à la fin d'un repas. Les portions "normales" me paraissent aujourd'hui si petites et si vite mangées ! On m'a conseillé de voir un psy, mais je ne me sens vraiment pas prête, et je n'arrive pas à être optimiste sur les améliorations que ça pourrait apporter. Je ne sais pas, je ne sais plus. Tout ça, c'est vraiment trop compliqué.