jeudi 8 juin 2017

Nourriture : culpabilité et pardon (2/37)

Bon eh bien la paresse aura été de courte durée : j'ai de nouveau un travail à faire là où je fais mon stage, et qui va beaucoup m'occuper. J'essaierai d'écrire quelques articles malgré tout, mais ils seront plus courts que ce que j'avais prévu au départ. Aujourd'hui, j'ai manqué de temps pour écrire, alors je vous copie un texte que j'ai écrit il y a quelques semaines, lors d'une de mes journées de craquage alimentaires.

Je prends aujourd’hui la plume pour raconter mon histoire. L’histoire d’une fille comme les autres qui pourtant, en silence, lutte contre ses démons. J’espère un jour pouvoir écrire « qui a lutté, pendant longtemps, contre ses démons ». Ce serait une belle victoire, de transformer le présent en un passé lointain, presque archaïque. Je voudrais pouvoir en être au stade où je proclame fièrement la guérison de mon esprit. Et c’est volontairement que je n’écris pas « ma guérison ». Je ne me considère pas comme malade. Je suis juste moi, Esmeralda, 21 ans, avec ma personnalité et toutes les difficultés que cela peut engendrer d’être simplement moi. J’entends souvent que les troubles alimentaires sont la conséquence d’un trouble profond, d’un manque, d’une souffrance psychologique très éloignée de ce problème qu’on pourrait croire physique. Mais le temps m’a montré que c’est un problème qui s’est progressivement automatisé et détaché de la cause première à laquelle il était rattaché. Je dévore ma colère, j’avale ma tristesse, je savoure ma joie, j’engloutis mon ennui, je mâche mon angoisse, je… je mange, tout simplement. A-t-on vraiment besoin de ressentir une émotion quelconque pour avoir envie de se faire plaisir ? Ces émotions qui se succèdent les unes après les autres, que l’on pourrait vainement tenter d’identifier pour analyser leur rôle dans les manifestations de mon trouble, ne sont-elles pas le reflet de cette émotion étrange et impalpable qu’est la vie ? L’envie de manger est constante, omniprésente, elle a envahi chacune de mes pensées. Lorsque la nourriture cesse, à la fin d’un repas bien trop riche, de réveiller mon irrésistible attirance pour elle, elle se transforme alors en culpabilité et en anticipation. La culpabilité d’avoir craqué, encore, et d’avoir justifié mes dégustations compulsives, comme chaque jour, par un argument rationnel capable de transformer ce qui passe pour une habitude en une simple exception. « Oui mais aujourd’hui, c’est parce que… mais demain, je me reprends en main pour de vrai ». L’anticipation des prochaines crises, ou des prochaines souffrances induites par mes tentatives désespérées mises en œuvre pour résister à ces terribles pulsions. 

La culpabilité cohabite avec la tristesse, la colère, l’impuissance, mais aussi, et heureusement, avec le pardon. Il se fait discret, le pardon, mais il a tracé son chemin et s’est installé dans mon cœur. Je l’y garde précieusement, et je lui rends visite lorsque je parviens à le retrouver. Le pardon me rappelle que je n’ai pas moi-même créé ce trouble consciemment, par une succession de mauvaises décisions. Que je ne suis pas le bourreau, que je subis moi-même ces fortes envies. Que quoiqu’en dise ma culpabilité, quoiqu’en dise le reflet effrayé, abattu et implorant que je croise dans le miroir, je ne suis pas responsable de l’arrivée de cette force qui me dépasse. Je veux croire qu’il y a une solution, je dois continuer à déployer des immenses efforts pour la combattre, mais sa puissance n’est pas de mon fait. Je dois m’en rappeler pour ne pas me laisser ronger par une culpabilité maladive. Même si c’est difficile. Il me reste donc comme solution la plume, quelques mots tracés pour tenter une nouvelle lutte, ou, au moins, transformer l’obsession et la douleur qu’elle entraîne en quelque chose de beau.  

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