jeudi 29 juin 2017

Talent ou incapacité, l'invisible frontière (5/37)

J'ai eu cette réflexion alors que j'étais une énième fois en train de m'arracher les cheveux en pleine séance de travail de chant. J'ai lancé l'enregistrement sur ma tablette, j'ai enclenché l'instrumental et je me suis mise à chanter "se tu m'ami" puis "ah mio cor". J'étais contente de moi, j'avais l'impression d'avoir surmonté les blocages des jours précédents. Ca sort bien ça sort bien, super ! J'écoute l'enregistrement et tout à coup, toute mon âme se serre et se met à pleurer à l'écoute de cette voix insupportable pour mes oreilles. Oh tiens, ici cette note n'est pas trop moche, mais elle est vite chassée par la médiocrité de tout le reste. C'est ça, progresser ? Pourquoi j'ai l'impression que le son est bien soutenu alors que c'est désagréable à entendre ? Quel élément technique non maîtrisé provoque ce son ? De rage, je lance violemment un livre contre mon placard, je supprime l'enregistrement pour ne plus être tentée de le réécouter, et je descends manger. Mon visage sourit à mes amies mais toutes mes pensées broient du noir. Et mille questions s'enchaînent dans mon esprit : pourtant j'ai déjà chanté du lyrique à la famille qui était impressionnée, à une amie qui était impressionnée, à des amis de mes parents qui ont beaucoup aimé. On n'a pas les mêmes oreilles ? (Pourtant, je suis capable, quand c'est bien, de l'entendre aussi). Je n'ai pas chanté de la même façon ? Mes oreilles ont un problème ? Comment pourrai-je réussir à chanter devant plus de gens, ou des gens que je connais moins, si je n'entends rien de bien quand je me réécoute ? "Allez ose, c'est peut-être beau, puisque la dernière fois les réactions ont été positives". Comment savoir si je suis en train de chanter bien, quelle voix sortira... 

Pour la variété ou la pop, les choses sont encore plus complexes. Curieusement, le lyrique me paraît plus accessible. Très difficile au début, mais je peux voir la progression. Pour la variété, il m'est arrivé d'avoir de bonnes sensations, voix bien placée, joli timbre. Mais c'est si rare ! Et cette semaine, et la semaine dernière, et depuis plusieurs semaines, j'ai la sensation de ne plus savoir chanter en dehors des cours de chant. Et c'est le cas, je ne retrouve plus les sensations. Ca me fait ça tout le temps, ça vient ça va, mais ça met toujours plus de temps à revenir, et c'est tellement imprévisible qu'après 2 ans de cours de chant, je ne pourrais toujours pas chanter en public. 

Je réécoute mon dernier enregistrement fait chez mon prof de chant. Le rendu est, je trouve, vraiment bien. Ma voix m'est agréable, je ressens l'émotion que j'ai voulu transmettre, j'entends mon âme, et puis quelques larmes viennent. Oui mais ce n'est pas moi. Plus moi.
Mes amies me compliment sur ma voix. Bien sûr, elles ont entendu cet enregistrement, et maintenant elles sont convaincues que je suis bien plus douée que ce que je ne suis réellement, et aucune ne me croit quand je fais part de mes difficultés incompréhensibles. 

Comment peut-on à la fois être talentueux (de très bons retours sur mon enregistrement, y compris le mien qui est celui qui me tient le plus à cœur finalement) et complètement nul à la fois ? Puisque cette voix existe en moi, elle doit bien pouvoir revenir. J'essaie de me rassurer en me disant ça. Mais ça rend fou. Où est-elle ? Suis-je trop incompétente pour exploiter le potentiel de ma voix ? Suis-je trop sensible à l'environnement pour en faire quoique ce soit ? Aurai-je le niveau technique suffisant pour avoir une voix qui me plaît et qui reste ? Ai-je trop de blocages psychologiques ? Quand je suis chez mes parents, que je chante avec mon micro et ma petite enceinte, les sensations reviennent plus facilement. A Paris, pour la variété / pop, je me sens bien plus incapable. Et ce n'est même pas forcément de l'inhibition liée à la peur d'être entendue, parce que parfois je chante dans ma chambre et que mes voisines ne sont pas là.

Et je suis lassée de devoir m'enregistrer pour savoir comment je chante, mais je suis obligée, sinon c'est impossible de connaître mon son et de l'ajuster. 

Le titre de mon article s'explique alors très bien, ce sentiment d'avoir cette voix en moi qui ne revient pas. J'ai pleuré l'autre jour, comme je le fais parfois quand je chante très mal et que j'ai l'impression que le sens de ma vie s'effondre, et que je suis bonne à rien et pas capable de progresser dans ma seule et unique grande passion. Parfois même, je ne chante plus pendant une ou deux semaines parce que mes difficultés m'ont retiré l'envie de chanter (heureusement, elle est de nouveau là et forte quand je reviens à Lyon et que je retrouve mon environnement familier et mon micro).

J'ai psychoté pendant des mois en cherchant le problème. "C'est sûr c'est le ventre !", "C'est sûr c'est la langue, ça y est le problème est réglé !". Non, non, non toujours pas. Je ne sais pas, je ne sais plus. Evidemment mes profs me corrigent, mais pendant le cours. Incapable de faire un travail aussi bien par moi-même. Où est le problème bon sang ? 

Et tout à coup, cette simple pensée m'est venue : et si ton problème, Esmeralda, était de trop te demander où était le problème ? 
Je sais que j'ai un problème avec l'inconscient au sens : on travaille ça ou ça, ça change pas grand chose sur le moment, et un beau jour on se réveille et la voix est plus jolie. On ne sait pas trop pourquoi, mais tout ça a fait progresser. Alors que j'essaie toujours de tout comprendre, j'ai du mal à déléguer mes progrès au travail inconscient. Je me suis torturée pour essayer de trouver LE problème, ou les éléments à travailler pour mon problème spécifique, et ça a peut-être été contre-productif.

Alors j'ai décidé d'adopter une autre approche du chant, en espérant que ça m'aide. Je vais travailler tous les aspects techniques, sans me dire "non ça on verra plus tard, ça te servira pas pour ton problème". On oublie le problème et on s'amuse aux vocalises (oui parce qu'aux vocalises je progresse par contre, quelle ironie). Avant-hier j'ai donc travaillé la voix de poitrine et surtout la voix de tête que j'ai du mal à faire entendre vraiment. C'était un travail plutôt amusant et qui m'a donné un peu plus de voix ensuite. 

Comme je serais heureuse si j'arrivais, d'une, à garder toujours la voix de mon enregistrement, de deux, à progresser encore. J'espère que cette troisième année de chant va débloquer des choses.

To be continued...

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